Qui a peur d’une réforme de l’assurance-emploi?

Qui a peur d’une réforme de l’assurance-emploi?

Lettre ouverte publiée dans l’Acadie Nouvelle

Par Pierre Céré
Porte-parole du Conseil national des chômeurs et chômeuses (CNC)

À quoi sert un programme social comme l’assurance-emploi? À quoi sert un meilleur accès à l’éducation et aux soins de santé? À quoi sert la justice? La défense des droits humains? Une plus grande démocratie?

À mettre les gens en prison? Que tous et toutes se retrouvent malades et à l’hôpital? Blessées au travail? Au chômage?

Il va sans dire que les générations qui nous précèdent, et qui ont mené, par exemple, un combat pour l’instauration d’un régime public d’assurance-maladie, en commençant par Tommy Douglas en Saskatchewan, n’ont pas mené ce combat en souhaitant absurdement que les gens tombent malades.

Il en va de même pour les protections face au chômage. Il n’y a pas si longtemps, à peine 80 ans, il n’y avait rien pour affronter le chômage. Les forces conservatrices de l’époque se sont tout de même déchaînées contre la mise en place d’un programme d’assurance-chômage en 1940. Par la suite, et toujours, elles ont craint comme la peste toutes formes d’améliorations.

Et toujours, elles ont applaudi à tout rompre à chaque fois qu’un gouvernement imposait des mesures de compression à ce programme. Elles sabraient le champagne en 1993 quand le gouvernement Mulroney imposait les pires sanctions d’exclusion dans les cas de départ volontaire et de congédiement. Un demandeur sur quatre, qui a pourtant travaillé et cotisé au cours de la dernière année, est aujourd’hui refusé à l’assurance-emploi pour ce genre de raisons. En 1996, lors des grandes coupes imposées par le gouvernement Chrétien dans le programme d’assurance-chômage, qui devient alors l’assurance-emploi, ces mêmes courants conservateurs, qu’ils soient politiques ou économiques, ne se pouvaient plus de manifester leur contentement.

Depuis toutes ces années, le programme d’assurance-emploi a été enfermé dans cette camisole de force. Avec des protections à la baisse, la couverture du programme a ainsi chuté drastiquement.

Combien de batailles avons-nous livrées? Combien de défaites? Combien de fois il a fallu réorganiser nos forces, repenser nos stratégies, reprendre le flambeau? Ne jamais abandonner, ne rien lâcher, jamais. C’est ce que nous avions en tête. Vraiment.

Nous avons gagné la bataille de l’opinion publique en 2012 et 2013 contre la réforme Harper qui, à l’époque, s’en prenait nommément aux travailleurs et travailleuses de l’industrie saisonnière, se trouvant à 70% dans les provinces de l’Est du Canada. Le programme, lui, demeurait meurtri, et nos protections, largement amoindries, sinon nulles.

La crise majeure, dont nous soulignerons cette semaine le premier anniversaire, a secoué le monde, mais a aussi révélé, entre autres, les failles du programme d’assurance-emploi canadien. À un tel point que celui-ci a littéralement implosé au printemps 2020, incapable de faire face aux réalités de la crise et du chômage massif qui s’en est suivi. Près de 9 millions de personnes ont eu recours à la PCU (Prestation canadienne d’urgence), à un moment ou un autre l’an passé. Ce programme a dû remplacer d’urgence le programme d’assurance-emploi.

Depuis, des mesures temporaires d’améliorations à l’assurance-emploi ont été mises en place. Certaines attendent un vote important au Parlement, ces jours-ci, comme la prolongation de période de prestations à 50 semaines.

Le gouvernement Trudeau s’est aussi engagé à revoir en profondeur le programme d’assurance-emploi. La ministre responsable du dossier, Carla Qualtrough, a le mandat clair de procéder à une telle réforme et d’élargir la couverture, entre autres vers le monde du travail autonome. Il y a là une vision du 21e siècle qui sied bien aux besoins réels.

Les forces conservatrices y voient un spectre et elles ont peur. Au premier plan, la FCEI (Fédération canadienne de l’entreprise indépendante), les mêmes qui disposaient d’un accès VIP à l’époque du gouvernement Harper tirent maintenant à boulets rouges : Non à un régime universel englobant les travailleurs et les travailleuses autonomes, non à une réforme visant des améliorations. Comme s’il s’agissait d’une machine à fabriquer des chômeurs! Franchement…

Le combat demeure le même. Personne ne veut du chômage. Ce que nous mettons en perspective, par contre, c’est un meilleur régime de protection face au chômage, un nouvel équilibre faisant en sorte que les travailleurs et les travailleuses, salariés ou indépendants, soient mieux protégés.