Repenser le filet social

REPENSER LE FILET SOCIAL

Un texte de Pierre Céré, porte-parole du Conseil national des chômeurs et chômeuses (CNC), publié dans Le Soleil et Le Devoir

Au regard de la crise sanitaire des derniers mois et de ses répercussions graves sur l’économie, un constat s’impose: la Prestation canadienne d’urgence (PCU) a sauvé bien du monde!

Depuis la mi-mars, ce sont en effet plus de 8 millions de personnes (40 % de la population active) qui ont perdu leur emploi au Canada, la plupart temporairement, demandant de recevoir en moyenne quelque deux mois de cette mesure d’urgence. Sans cette injection financière directe, bien des faillites et autres difficultés se seraient dramatiquement abattues sur nombre de nos concitoyens. On peut même dire, sans se tromper, que si nous ne ressentons pas les effets de cette grave récession c’est avant tout grâce à la PCU, grâce à cette aide financière dispensée à tous ceux et toutes celles qui perdaient leurs emplois ou leurs contrats sans distinction, travailleur salarié ou autonome.

C’est la première fois de notre histoire qu’un gouvernement réagit avec autant de force pour soutenir sa population face à une crise aussi grave, le faisant d’ailleurs avec un programme se voulant simple et rapide d’exécution, fondé sur la bonne foi des gens. Il fallait tout de même une bonne dose de courage pour aller dans cette direction. Et cela a fonctionné, malgré tous les doutes et réticences exprimés. Les dépenses de la PCU, jusqu’à maintenant, s’apparentent au budget cumulatif de trois années de l’assurance-emploi. C’est énorme. Mais à situation d’urgence, mesure d’urgence, sachant par ailleurs que cette injection retourne directement dans l’économie de proximité. Ce gouvernement a probablement sauvé l’économie.

PCU décriée

Pourtant, dès la fin avril, à peine trois semaines après sa mise en place, des voix commençaient à se faire entendre, venant entre autres de milieux politiques plus conservateurs, là où les teintes de bleu se confondent. On assimile cette aide financière à une mesure désincitative à l’emploi, un frein à la reprise économique, accusant au passage les gens de s’asseoir littéralement sur ce «nouvel Eldorado», l’équivalent du salaire minimum à plein temps, pour ne pas retourner travailler.

Comment peut-on en être arrivés à faire porter sur le dos des salariés les difficultés de notre économie, comme s’ils étaient aux commandes de celle-ci? Comment peut-on soutenir pareille ineptie quand on constate, mois après mois depuis le début de cette crise, que les taux de chômage atteignent des sommets jamais vus depuis la Grande Crise des années 1930? Ainsi les données les plus récentes (juillet) indiquent un taux de chômage officiel au Canada de 12,3 %. Par ailleurs, Statistiques Canada prend la peine de nous aviser (Enquête sur la population active, juin 2020) que ce taux officiel doit être ajustée à 16,3 % si on tient compte des personnes voulant travailler, mais qui n’ont pas cherché d’emploi, et même d’un taux à 26,9 % si on ajoute «les personnes en emploi qui ont travaillé moins de la moitié de leurs heures habituelles». Montréal possède le deuxième taux de chômage le plus élevé au Québec (taux officiel de 15,3 %) après la Gaspésie. La région de Québec qui nous avait habitués à battre tous les records de plein emploi est à 12,3 % (taux officiel). Toutes les grandes villes canadiennes connaissent des taux de chômage qui dépassent les 10 et même 15 %. C’est la réalité.

Repenser le filet social

Il y aura assurément une fin à la PCU, du moins une phase de transition pour arriver à sa conclusion. Est-ce que le régime d’assurance-emploi sera appelé à jouer un rôle plus actif? Si c’est le cas, espérons qu’on sache l’adapter au contexte de crise que nous connaissons, considérant que, de l’avis général, il est trop lourd, toujours suspicieux et largement judiciarisé. C’est pour cela, d’ailleurs, que le gouvernement aura dû mettre en place un programme d’urgence, la PCU, pour répondre aux besoins immédiats.

De tout temps, une crise peut devenir un révélateur et nous amener à tirer des enseignements. Il est indéniable que le filet social doit être repensé: modernisation de l’assurance-emploi ou revenu minimum garanti, les deux pouvant se compléter? Il faut voir plus loin que la seule urgence, et bâtir un futur protecteur au service des citoyens.