Une solidarité écorchée

Une solidarité écorchée

Par Pierre Céré, porte-parole du Conseil national des chômeurs et chômeuses (CNC)

Alors que les taux de chômage atteignent des sommets, certains milieux, et même le Premier ministre du Québec, se plaignent de la prestation canadienne d’urgence (PCU) et de la PCU étudiante. Ces aides sont perçues comme des désincitatifs au recrutement de travailleurs dans les CHSLD et dans les champs, une forme de compétition à l’offre d’emploi. Selon le président de l’UPA : « Plus on bonifie l’aide aux citoyens pour combler l’absence d’emplois, moins il sera intéressant d’aller travailler. »

Ces personnes, et le Premier ministre en tête, sont-elles seulement au courant qu’au Québec, en deux mois, nous sommes passés du taux de chômage le plus bas à celui le plus élevé au Canada ? Il y a matière à se demander si le capitaine est au courant qu’il y a beaucoup de monde désemparé sur le pont du bateau.

De fait, dans son enquête sur la population active du mois d’avril 2020, publiée le 8 mai, Statistiques Canada nous apprend que le taux de chômage canadien atteint maintenant 13%, voire 17,8 % si on inclut les « chômeurs inactifs », qui n’ont pas fait de recherches d’emploi (« occasions très limitées de trouver du travail »). Au Québec, ces mêmes taux de chômage sont respectivement de 17% et 23%. Ce sont des niveaux rarement atteints, sinon lors de la Grande crise des années 1930.

L’étude nous révèle aussi que plus du tiers (36,7 %) de la population active est en situation de chômage ou de sous-emploi (« a travaillé moins que la moitié de ses heures habituelles »); que les petites entreprises sont les plus affectées ; que ce sont les travailleurs les plus vulnérables, les plus précaires, qui ont été les plus touchés par la crise (salariés temporaires, non syndiqués, mal rémunérés, les immigrants récents) ; que plus de 20 % des ménages déclarent avoir de la difficulté à respecter ses obligations financières.

Nous apprenons aussi que l’emploi a davantage reculé chez les jeunes de 15 à 24 ans. Que le taux de chômage chez les étudiants du même groupe d’âge s’établit à 31,7 %, « ce qui signifie que de nombreux jeunes pourraient éprouver des difficultés à continuer de payer leurs études ». De là, toute l’importance d’apporter une aide financière d’urgence.

Le « tout à l’économie » récent du Québec, celui voulu par l’État, celui du retour au travail à pas accélérés, celui de certains patrons en mal de dénoncer leurs travailleurs qui rechigneraient à reprendre le boulot mal payé, toutes ces interventions à propos de mesures prétendument désincitatives, ces fausses informations relayés par des avocats spécialisés en droit du travail patronal qui font le tour des médias pour agiter les épouvantails (vous allez perdre votre emploi, votre PCU et votre droit à l’assurance-emploi si vous ne retournez pas au travail) ; tout cela, il faut bien le dire, s’imbrique dans un nouvel empressement qui ne semble pas prendre la pleine mesure de la crise que nous traversons.

Comment, en si peu de temps, en sommes-nous arrivés à colporter de tels ragots sur les gens, et à manifester autant d’ignorance et de mauvaise foi pour parler des autres, des plus vulnérables, des jeunes, des travailleurs ou des immigrants? Manifestement, les situations de crise sont révélatrices de nos faiblesses et du traitement que nous réservons à certaines catégories de notre population.

Il y aura reprise économique, c’est indéniable, mais des choses devront changer. Si l’aide financière, comme il se devait, aura été temporaire, les solutions, elles, nous engagent à les inscrire dans le temps. La crise a mis en lumière des failles dans notre filet social, et dans notre vivre-ensemble, et rarement nos liens de solidarité n’auront été autant écorchés que ces dernières semaines, malgré la célébration de ses apparences. À nous d’y voir.


Pour plus d’informations sur les programmes spéciaux dans le contexte de la crise de la COVID-19, visitez notre section spéciale ou contactez un groupe membre du CNC