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COVID-19 (coronavirus)

L’assurance-emploi en temps de crise

L’assurance-emploi en temps de crise
par Pierre Céré, porte-parole du Conseil national des chômeurs et chômeuses (CNC)

Le vendredi 13 mars 2020 sera marqué dans nos livres comme le « vendredi noir » de notre époque, le krach du 21e siècle. Malgré des augures de pandémie, à peu près personne n’envisageait la présente période de telle sorte. Encore la semaine précédente, les plus joyeux d’entre nous célébraient les records de taux de chômage parmi les plus bas de notre histoire.

La catastrophe qui s’annonçait, lentement mais à pas certains, s’est pourtant abattue sur nous, et sans ménagement. Comme la foudre. Le 13 mars 2020, le gouvernement québécois décrétait avec raison l’état d’urgence sanitaire sur l’ensemble du territoire, les écoles et les garderies étaient fermées, s’ajoutant à l’isolement volontaire ou obligatoire demandé ou exigé à certaines catégories de la population, à la fermeture de plusieurs commerces et lieux publics, et maintenant à l’interdiction de tout rassemblement.

Dans cette lutte contre la COVID-19, le vendredi 13 représente un point de bascule, un tsunami qui s’abat sur l’économie et le monde du travail. Depuis le lundi 16 mars, nous n’en sommes plus à prévoir quels secteurs seront affectés, mais à dénombrer les centaines de milliers d’emplois perdus. 930 000 demandes d’assurance-emploi à travers le Canada pour cette seule semaine, alors que pour la même période, l’année dernière, il y en avait eu 27 000…

Il aurait été avisé que le gouvernement canadien, seul responsable du programme d’assurance-emploi, intervienne dès le lundi suivant pour annoncer des mesures d’urgence, comme le Québec l’a fait cette journée-là en mettant en place, prestement, le Programme d’aide temporaire aux travailleurs (PATT). Un programme simple, efficace et rapide d’exécution. Mais non. Rien lundi, rien mardi, ça-s’en-vient-ça-s’en-vient…

Mercredi, enfin, une annonce du premier ministre relayé par son ministre des Finances, Bill Morneau, et visant les nouveaux chômeurs qui n’auraient pas droit à l’assurance-emploi. Essentiellement deux mesures qui seront administrées par l’Agence du revenu du Canada : l’allocation de soins d’urgence et l’allocation de soutien d’urgence.

Si la première mesure est assez bien définie, la deuxième ne l’est pas du tout. On nous dit que les modalités viendront dans les prochains jours. Sans compter que ces mesures ne sont pas encore exécutoires, puisque les formulaires ne seront disponibles qu’au mois d’avril. Pas au début avril : en avril. Et les paiements?

Les gens sont perdus, étourdis, anxieux, face à une information brouillonne, dispersée, distillée par le fédéral au compte-goutte. À l’assurance-emploi, la machine surchauffe, sinon implose en maints endroits de son administration. À Tchernobyl, tout ne va pas pour le mieux.

Les fonctionnaires étaient déjà aux prises, avant la crise, avec une loi complexe, cadrée par une machine embourbée s’apparentant à la vitesse de croisière d’un paquebot naufragé. Ils sont maintenant confrontés à une augmentation sans précédent du nombre de demandes de prestations de chômage. Les directives à l’interne sont confuses, les chefs ne sont pas sur le terrain, il manque cruellement de personnel. Le gouvernement devrait lancer un appel pressant aux fonctionnaires retraités pour venir prêter main forte. Il n’en fait rien. Pas un mot d’empathie non plus pour sa fonction publique.

Pourtant, il aurait été si « facile » de décréter, pour le temps de la crise, en plus d’une mesure spéciale visant celles et ceux qui n’ont pas droit à l’assurance-emploi, des règles plus simples et plus souples directement au programme d’assurance-emploi (ce que le gouvernement, jusqu’à maintenant, a refusé de faire), parmi lesquelles :

  • Un seul critère d’admissibilité abaissé à 420 heures pour tous et toutes;
  • Annulation complète du délai de carence pour tous les types de prestations (pas seulement pour les prestations maladie liées au coronavirus);
  • Simplifier les règles de l’abandon volontaire du travail et celles liées à la disponibilité au travail (nous pensons ici aux milliers de parents qui restent à la maison pour s’occuper de leurs enfants);
  • Ne plus imposer les prestations (le Québec a décrété cette mesure dans le cadre du PATT);
  • Des mesures d’aide directe aux travailleurs et travailleuses de l’industrie saisonnière ainsi qu’aux nouveaux parents qui, au retour d’un congé parental, se retrouvent sans travail et sans revenu.

À situation exceptionnelle, solutions d’exception : il faut bousculer l’appareil et simplifier les règles, chercher à soutenir directement et rapidement les gens qui perdent leur emploi, allégeant ainsi le fardeau des fonctionnaires. Mais non, le Directeur parlementaire du budget croit plutôt que : « Le danger est que les mesures d’urgence deviennent des programmes de dépenses réguliers, de nouveaux droits déséquilibrant les finances publiques » (Globe and Mail,20 mars 2020), révélant du coup l’état d’esprit à Ottawa.

Nous sortirons changés de cette crise. C’est vrai. Et probablement plus conscients des nécessaires changements à opérer dans ce monde.